Discours pour le 78ème anniversaire de la Libération de Toulouse

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Monsieur le Secrétaire Général représentant Monsieur le Préfet de la région Occitanie et de Haute-Garonne,         
Monsieur le Député,
Monsieur le représentant la Présidente de la Région Occitanie,
Monsieur le représentant du Président du Conseil Départemental de la Haute-Garonne,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Monsieur le Colonel représentant le Général, commandant la 11e brigade parachutiste,
Messieurs les Officiers Supérieurs,
Monseigneur,
Monsieur le Président du Comité Départemental de la Résistance,
Messieurs les représentants des associations patriotiques et d’anciens combattants, tout particulièrement Monsieur le nouveau Président local de l’ANCR, que je félicite,
Messieurs le Président et les représentants des ordres nationaux,
Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs,
 
Nous voici réunis, comme chaque année, pour commémorer le 78e anniversaire de la Libération de notre ville, Toulouse, le 19 août 1944.
A l’entame de ma prise de parole, je ne veux pas tourner le dos au souvenir d’une grande figure toulousaine qui était fidèle à ce rendez-vous mais qui, pour la première fois, n’est pas là aujourd’hui, celle de Lucien VIEILLARD, Résistant, artiste de talent, dont l’attachement au devoir de mémoire l’amena à présider la section départementale de l’ANACR, l’Association nationale des anciens combattants et amis de la Résistance. Il nous a quittés voici près de dix mois, à quelques semaines de ses 98 ans, et, avec vous, j’ai pour lui une pensée de reconnaissance émue.
 
La libération de Toulouse, nous la devons à la bravoure de toutes ces femmes et de tous ces hommes, Toulousains surgis de l’ombre ou maquisards accourus de toute la région, qui ont, trois jours durant, uni leurs forces, au départ disparates, pour que notre cité recouvre sa liberté.
Des résistantes et des résistants, pour l’essentiel des anonymes, animés par une même volonté, rendre sa dignité à la France.
Ils sont les héros de l’histoire de Toulouse, de l’histoire de France.
Chaque année, cette commémoration fait vivre le souvenir de leurs actes, elle leur rend les honneurs qui leur sont dus, elle leur exprime notre gratitude et notre admiration.
Mais cette cérémonie s’inscrit aussi dans le présent, dans notre actualité, comme un prolongement vivant et utile de l’hommage attaché à des hauts faits passés de notre histoire nationale.
Ainsi, le combat d’hier se prolonge t’il aujourd’hui, de façon différente bien sûr. Ainsi, des valeurs que nous croyons fondamentales résonnent-elles en 2022 avec une égale force qu’elles triomphaient en 1944-45.
 
Qui de nous aurait pu prédire, il y a un an, jour pour jour, ici-même, lorsque nous commémorions ensemble le 77e anniversaire de cette libération, que, quelques mois plus tard, la guerre ferait son effroyable retour sur notre continent ?
Cette actualité inattendue nous rappelle que le combat pour nos valeurs fondamentales  – la paix, la démocratie, la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité – n’est jamais terminé. Et, pas plus que ce combat ne saurait être cantonné aux livres d’histoire, une cérémonie comme celle d’aujourd’hui ne saurait se limiter à un hommage encadré par un rite protocolaire. 
Et, comme le rappelait justement Simone Veil lors de l’inauguration du Mur des noms, au Mémorial de la Shoah, le 27 janvier 2005, « la mémoire ne peut être seulement portée par les victimes et leurs descendants ».
La mémoire est d’intérêt collectif et universel. Chacune et chacun de nous, dans ses missions quotidiennes, est invité à être veilleur, sentinelle de notre mémoire collective. Pour ne pas nous endormir sur nos valeurs et pour les transmettre à nos enfants.
 
Cette année 2022 marque d’un chiffre symbolique – 80 – l’anniversaire des tragiques rafles de l’été 1942.
Ici, même, il y a à peine plus d’un mois, le 17 juillet, nous étions rassemblés pour raviver la mémoire de ces honteuses journées des 17 et 18 juillet 1942, évoquer le Vél’ d’Hiv devenu sinistre, les camps de Pithiviers et de Beaune-la Rolande, puis Drancy, l’antichambre ouvrant le chemin vers la mort.
A l’époque et comme souvent, l’abominable côtoyât l’admirable, et la félonie la grandeur d’âme.
D’un côté, l’Etat français perdait le peu de dignité qui lui restait dans le zèle qu’elle demandât à la police française pour traquer les juifs, allant au-delà de la demande de l’occupant.
De l’autre, beaucoup de Français aidèrent les pourchassés à fuir, souvent avec des trésors d’imagination en matière de dissimulation.
À Toulouse, c’est notre archevêque d’alors, Mgr Jules-Géraud SALIEGE qui, mettant dans la balance tout le poids de sa haute autorité morale, surmontant par l’écrit ses lourdes infirmités physiques, élevât sa voix pour condamner avec force les traques antijuives.
En cette année 2022, notre ville va l’honorer particulièrement, à travers plusieurs événements exceptionnels.
Dans 4 jours, le 23 août, date anniversaire de la parution de sa fameuse Lettre Pastorale « Et clamor Jerusalem ascendit », nous nous retrouverons pour un dépôt de gerbe au pied de son buste, que la Mairie a érigé près de la cathédrale Saint-Etienne.
Huit jours plus tard, le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire, diverses hautes personnalités feront le déplacement à Toulouse pour inaugurer à mes côtés le nouveau groupe scolaire du quartier de Lalande, qui portera le nom de Jules-Géraud SALIEGE. Je remercie le conseil municipal d’avoir adopté par un vote unanime cette proposition de dénomination que je lui ai faite en avril dernier. Un établissement d’enseignement public portant le nom d’une figure ecclésiastique, c’est rarissime. A la mesure de l’acte que posât alors Mgr SALIEGE.
Enfin, en novembre, c’est le diocèse qui sera maitre d’œuvre d’un important événement d’hommage.
Cet anniversaire nous plonge dans le contexte de cette Lettre Pastorale, époque que le philosophe Jacques MARITAIN – qui devait vivre ses dix dernières années à Toulouse – qualifie de « schisme le plus profond que notre histoire ait connu (…). » Il dénonce ce qu’il appelle « L’inondation de mensonge et d’abjection » qui faisait « perdre son âme » à la France. Et il désigne clairement les responsables, en invoquant  « les lois antisémites avec leur cortège de bassesse et de cruauté, les horreurs des camps » dont les auteurs « ont enfermé [notre pays] dans le piège de l’armistice » ; 
Jules-Géraud SALIEGE a su, par une « simple » lettre de 23 lignes, dont il ordonna la lecture en chaire dans toutes les églises du diocèse, comme suspendre le temps, tentant d’interrompre la frénésie de l’horreur et d’offrir une forme de recul aux fidèles, les poussant à renouer avec leurs valeurs.
En énonçant par des mots simples et compréhensibles de tous, « les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes… », et qu’il en va de même pour les étrangers, le prélat rappelle que l’humanité ne souffre pas d’exception, que ces enfants, ces femmes et ces hommes « font partie du genre humain » et que ce principe, s’il peut, certes, être violé par l’Homme, « aucun mortel ne peut [le] supprimer ».
Cette lettre n’opère pas une prise position conjoncturelle de l’archevêque : elle s’inscrit dans le droit fil de son engagement ancien contre l’antisémitisme qui se répand alors en Europe depuis plusieurs années.
Dès 1941, il exprime, par lettre également, sa solidarité et son soutien au rabbin Moïse CASORLA à la suite d’attentats contre des synagogues à Paris. Moïse CASORLA était alors rabbin à Paris après avoir officié comme grand rabbin de Toulouse.
Par ailleurs, sa demande de fermeture des abominables camps de Noé et du Récébédou, ici en Haute-Garonne, relève de la même exigence morale et humanitaire.
Tout cela fait écho à son discours, prononcé plus tôt encore, le 12 avril 1933, peu après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, au Théâtre du Capitole. Mgr SALIEGE affirme alors publiquement : « …je me sens frappé par les coups qui tombent sur les persécutés,… mes tressaillements sont d’autant plus douloureux que se trouve méconnu et bafoué, non pas un idéal confus, une idée froide et abstraite, mais cet être vivant, personnel, dont le souffle a traversé et porte toute l’histoire d’Israël : Jéhovah, celui que j’appelle le bon Dieu, le Juste par excellence… Comment voulez-vous que je ne me sente pas lié à Israël comme la branche au tronc qui l’a porté ? ».
De nos jours, nous qualifierions probablement la Lettre Pastorale du 23 août 1942 de « virale » tant fut considérable son retentissement dans la France entière et exponentielles ses conséquences.
Ces quelques lignes ont littéralement affranchi bien des esprits, libéré des initiatives, jusqu’à faire de Toulouse ce que l’historienne Sylvie Bernay propose d’appeler un « diocèse refuge », encourageant les catholiques à porter un regard nouveau, c’est à dire critique, sur le régime de Vichy, rompant avec une complaisance très majoritaire et ouvrant la voie à une véritable résistance chrétienne.
Or, en 1941 et 1942, on était loin de 1944 et 1945, loin de la Libération et de la Victoire.
Des années plus tard, après la défaite nazie et la Libération, Jules-Géraud SALIÈGE fut fait Compagnon de la Libération par le Général de GAULLE, reçût du Mémorial de Yad Vashem le titre de Juste parmi les Nations puis fut élevé au cardinalat – comme cardinal-prêtre de Sainte Prudentienne – par le pape Pie XII.
Au-delà de la sphère religieuse, cette résistance intellectuelle est à l’origine d’un véritable ruissellement. Les actes pour protéger les juifs, spontanés ou coordonnés, parfois infimes, toujours courageux, se sont multipliés, engageant leurs auteurs qui risquaient leur vie, autant que celle de leurs proches.
L’excellent Roger ATTALI, Vice-Président du CRIF Toulouse Occitanie, l’exprimait ici-même le 17 juillet en parlant de ces Justes parmi les Nations : « Ils étaient paysans, prêtres, religieuses, ouvriers, commerçants, policiers, gendarmes, enseignants, chefs d’entreprise, élus, cheminots ou femmes au foyer. Ils ont ouverts aux persécutés des chemins de lumière faits de tolérance, de générosité, de fraternité et d’humanité ». J’ajouterais certains étaient agents publics,… et ont eu le courage de désobéir.
 
Alors, en quoi la parole forte de Jules-Géraud SALIEGE peut-elle nous concerner huit décennies après ? La réponse à cette question, nous l’avons hélas sous nos yeux, dans l’actualité de notre pays, où l’antisémitisme, non seulement n’a pas disparu, mais connaît même un inquiétant regain, comme l’ont tristement illustré une série de faits et de crimes retentissants ces dernières années.
Lucide, Roger ATTALI nous dit : « Ce qui caractérise de façon inquiétante l’antisémitisme dans l’Histoire, c’est qu’il n’a cessé de prendre des formes nouvelles, de s’adapter à l’esprit du temps, de trouver de nouveaux alibis et d’inventer des justifications inédites, des ressentiments frustrés et imbéciles, avec l’obsession stupide du complot en étendard. ».
Longtemps apanage de l’extrême-droite, l’antisémitisme y est toujours présent comme l’a montré la campagne révisionniste d’un candidat au premier tour de la récente élection présidentielle, notamment au sujet du rôle joué par Philippe PETAIN. Mais il a essaimé ailleurs, en tous sens :  à l’extrême gauche tendance Corbyn ; il se confond parfois avec l’anti sionisme ; il suinte dans les discours les plus haineux prônant la délégitimation de l’Etat d’Israël ; il se recoupe d’autres fois avec l’islamisme ; il s’infiltre dans le mouvement des gilets jaunes puis dans les cortèges d’antivax ; il s’insinue dans les courants de pensée islamo-gauchistes qu’il est de si mauvais ton de dénoncer lorsqu’ils mettent à mal l’objectivité républicaine de tel ou tel établissement d’enseignement supérieur…
Ainsi, l’antisémitisme de ce premier quart du vingt et unième siècle est-il protéiforme, sans doute plus subtil que celui d’autrefois, mais tout aussi pervers, car sournois en vérité. A côté d’un antisémitisme affirmé, que je qualifierais d’actif, sans doute plus rare que dans les années Trente ou Quarante, se développent également d’autres attitudes, passives ou implicites, faites d’ambiguïtés, d’accommodements, de laisser-faire ou de silences. On les relève aujourd’hui dans la vie politique française, notamment dans les rangs des forces extrémistes désormais très présentes à l’Assemblée nationale. Sans les assimiler à de l’antisémitisme, faut-il ne pas en parler, ne pas les dénoncer ? Je ne le crois pas.
La vigilance pour discerner l’antisémitisme ou les nouvelles complaisances non assumées dont il bénéficie est donc plus que jamais nécessaire, de même que le courage pour combattre ces dérives.
Salman RUSHDIE, dont je tiens à citer le nom, écrit : « La sagesse, ce n’est pas d’être pessimiste ou optimiste, mais d’observer, de savoir quelles sont nos valeurs et de ne rien concéder ». Fin psychologue de nos sociétés contemporaines, il nous met très franchement en garde  avec ces mots contre les attitudes de démission morale qui ne disent pas leur nom et sont hélas si fréquentes aujourd’hui : « Les gens bien céderaient à la terreur et appelleraient cela respect. Les gens bien se suicideraient intellectuellement et appelleraient cela paix ».
 
C’est à cet éveil permanent de notre conscience, à cet engagement renouvelé, en fait à cette Résistance morale nouvelle, que nous sommes conviés aujourd’hui par cette cérémonie et le rappel de la Lettre Pastorale de Jules-Géraud SALIEGE.
Par-delà nos différences et nos divergences, qui sont l’essence même de la démocratie, nous avons là un combat commun à mener au quotidien.
Car il n’est pas de racisme mineur.
Il n’est pas d’antisémitisme justifiable.
Il n’est de sectarisme acceptable.
Vive Toulouse, Vive la République et Vive la France !
 
*Discours du19 août 2022 – Seul le prononcé fait foi

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