Discours pour le 79ème anniversaire de la Libération de Toulouse

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Chaque année, nous nous retrouvons ici, à cette date immuable du 19 août, qui marque à jamais le jour de la libération de Toulouse de l’occupation allemande.
 
Journée historique, la libération de Toulouse intervient dans un contexte bien particulier.
 
Depuis le printemps 1944, les résistants s’activent dans l’ombre, le vent a tourné et la promesse de la victoire se fait chaque jour plus prégnante.
 
En cette année 1944, les débarquements des forces alliées – en Normandie le 6 juin, puis en Provence le 15  août – font l’effet d’un catalyseur. Les résistants comprennent que ces événements vont forcer les troupes allemandes cantonnées dans la région à se redéployer. Du reste, jamais l’ennemi n’a paru si fébrile…
 
L’horizon d’une libération prochaine se dégage.
 
L’histoire est en marche, sans possibilité d’un retour en arrière.
 
Très vite, le 19 août au matin, les soldats allemands quittent leurs positions dans la ville, mettant le feu derrière eux en divers lieux stratégiques, tandis que Toulouse devient le théâtre de combats insurrectionnels. Dans les rues, des barricades sont érigées, tenues par des maquisards venus de toute la région.
 
Le 20 août, en fin d’après-midi, notre cité est enfin libérée.
 
Les drapeaux français sont partout. Les rubans tricolores parent les cheveux des femmes. Il flotte dans l’air comme un sentiment mélangé de joie victorieuse et d’honneur restauré. On se sourit. On s’interpelle. On se serre dans les bras. Sa liberté retrouvée, le peuple toulousain se laisse emporter dans une liesse collective.
 
Ainsi, il en est fini de ces deux années passées sous le joug nazi. Le temps est maintenant venu d’instaurer une nouvelle légalité républicaine pour gérer les problèmes du moment avant de préparer l’avenir.
 
Aujourd’hui, 79 ans plus tard, nous célébrons cette liberté retrouvée et cet esprit de la Résistance qui façonnèrent alors le destin de la France.
 
Cette année 2023 est celle d’un double anniversaire symbolique : elle marque le souvenir des 80 ans d’un acte discret mais essentiel dans l’histoire de France, la création du Conseil National de la Résistance, ainsi que les 80 ans, également, du sacrifice de celui qui l’orchestra, Jean Moulin.
 
C’est en effet le 27 mai 1943 que naît le Conseil National de la Résistance, le CNR, à l’occasion d’une réunion fondatrice, voulue par le général de Gaulle et animée par l’ancien préfet d’origine biterroise Jean Moulin, au 1er étage du 48 de la rue du Four, dans le 6earrondissement de Paris.
 
Elle rassemble les représentants des différents mouvements de résistance et des grandes familles politiques du pays, et dessine l’unanimité résistante derrière l’Homme du 18 juin.
 
Dans un fragment de l’histoire rappelant le Serment des Horaces, seize hommes que le destin a voulu lier, s’unissent pour vaincre l’ennemi commun.
 
Il y a là des noms que beaucoup d’entre nous, soyons honnêtes, avons oublié huit décennies plus tard…
 
Au titre des forces résistantes, sont présents Jacques-Henri Simon (Organisation civile et militaire), Charles Laurent (Libération-Nord), Jacques Lecompte-Boinet (Ceux de la Résistance), Robert Coquoin (Ceux de la Libération), Pierre Villon (Front National), Claude Bourdet (Combat), Pascal Copeau (Libération-Sud) et Eugène Claudius-Petit (Franc-Tireur).
 
Egalement, cette réunion opère la convergence inédite des représentants des partis de la IIIe République, les « familles spirituelles » comme on les surnomme, avec Marc Rucart (Parti républicain radical et radical socialiste), André Le Troquer (SFIO), André Mercier(PCF), Georges Bidault (pour les démocrates-chrétiens), la droite étant personnifiée par Joseph Laniel (Alliance démocratique) et Jacques Debû-Bridel (Fédération républicaine).
 
Enfin, participent les deux grandes confédérations syndicales, la CGT avec Louis Saillant et la CFTC avec Gaston Tessier.
 
Unifier la Résistance, qui n’est qu’un « désordre de courage » pour reprendre les mots d’André Malraux, constitue à la fois un impératif politique primordial et une condition indispensable pour lui donner sa pleine efficacité opérationnelle.
 
Plus tard, au-delà de ces nécessités immédiates, cette alliance plurielle devait afficher l’ambition de poser les jalons d’une rupture démocratique, économique et sociale en élaborant le programme de réformes « Les jours heureux », dont le Gouvernement provisoire de la République Française devait commencer la mise en œuvre dès laLibération.
 
Grâce à cette poignée d’hommes, la journée du 27 mai 1943 forge une nouvelle espérance pour notre nation, préparant notre pays à sa reconstruction et la République à sa refondation, avec la volonté, aussi, de restaurer demain la grandeur et la place de laFrance sur la scène internationale de l’après-guerre.
 
Le communiste Robert Chambeiron, secrétaire général du CNR, présent ce 27 mai 1943, a fort justement exprimé l’importance de cet acte fondateur, je le cite : « en métropole, avant le 27 mai, il y avait des résistances ; après il a la Résistance. […] Et, parce qu’il y a eu le CNR et de Gaulle, la France sera, lors de la création de l’Organisation des Nations unies, l’une des cinq grandes puissances à occuper un siège permanent au sein du Conseil de sécurité. »
 
Honorer la mémoire de la création du CNR ne peut être dissocié du même hommage à rendre aujourd’hui, dans un même élan, au grand Jean Moulin.
 
Parce qu’un mois à peine après la réunion majeure de la rue du Four, Jean Moulin est arrêté à Caluire-et-Cuire.
 
Le héros de l’ombre, celui qui a permis à Charles de Gaulle de constituer l’Armée secrète chaperonnée par les Forces Françaises Libres, celui qui a accompli l’union de tous les éléments résistant à l’ennemi, va tomber parmi les premiers.
 
Meneur d’hommes, modèle de sagesse, exemple de droiture morale, figure de fidélité aux idéaux de la Démocratie et de la République, ce remarquable humaniste et patriote mobilise dès son arrestation toutes les ressources de son caractère et la force des valeurs de toute sa vie pour opposer un courage indomptable à ses bourreaux.
 
Face au tortionnaire Klaus Barbie, le destin de la Résistance se trouve alors suspendu à la force d’âme de cet homme, qui, pour reprendre l’hommage de sa sœur, a atteint, je cite : « les limites de la souffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savaittous ».
 
Le 8 juillet 1943, après des jours et des nuits de torture, il succombe sans avoir parlé.
 
Au même moment, en juillet 1943 également, mais ici, à Toulouse, c’est Marcel Langer qui, à l’image de Jean Moulin, meurt dans d’abominables souffrances, sans avoir rien dit lui nonplus.
 
Pourrions-nous nous tenir libres aujourd’hui en ce lieu sans le sacrifice suprême des résistants toulousains ?
 
Sans Marcel Langer ? Sans Forain-Francois Verdier ?
 
Forain-François Verdier, le Jean Moulin toulousain, qui avait unifié les mouvements dispersés de la Résistance du Sud-Ouest, avant d’être arrêté à la fin de l’année 1943, s’emmura lui aussi dans le silence absolu au cours de longues séances de torture, avant d’être lâchement assassiné dans la forêt de Bouconne.
 
Pourrions-nous nous tenir libres sans Missak Manouchian et son groupe des Francs-Tireurs et Partisans – Main-d’œuvre immigrée, dont la traque avait connu unretentissement si important ?
 
En rentrant dans quelques mois au Panthéon – heureuse décision du Président de la république – Missak Manouchian représentera la résistance communiste, celle qui avait lavé l’honneur du parti après les errements coupables consécutifs au pacte germano-soviétique. Un injuste oubli sera alors réparé. Avec son épouse Mélinée, il prendra sa juste place aux côtés de Jean Moulin et du glorieux aréopage de nos héros issus de toutes lesfamilles politiques résistantes. 
 
Notre Patrie leur est éternellement reconnaissante. 
 
Ces destins, tous marqués par un sort funèbre, sont pour chacun de nous, des legs d’une génération qui n’avait jamais courbé l’échine face à l’oppresseur, face au tragique del’histoire et au fatalisme de l’esprit.
 
Aujourd’hui, l’histoire se rappelle à nous. Et c’est là aussi l’utilité de nos commémorations.
 
Comme dans la période de l’entre-deux guerres, dans une conjoncture certes bien différente, la France vit une multiplicité de problèmes qui mettent en cause la santé denotre démocratie elle-même, sur fond de contexte international tendu, de désunion européenne, de résurgence inquiétante des nationalismes, de montée des extrêmes.
 
Année après année, nous sentons notre pays s’enkyster, se fragiliser, se morfondre. Nousressentons dans notre France comme une forme de désenchantement, où notre corpsnational se délite et s’archipélise.
 
La gravité des débordements de ces derniers mois, la violence qui se déchaîne aumoindre prétexte, sont des signes inquiétants, tant pour la qualité des rapports humains que pour celle du débat public.
 
En contemplant les hautes figures que nous honorons et commémorons aujourd’hui, il peut être sain et utile de nous poser certaines questions.
 
A l’image de la réunion fondatrice du CNR, serions-nous capables, pour relever les défisles plus fondamentaux pour l’avenir de notre pays, de nous unir autour de l’essentiel ?
 
Les différentes familles de l’arc démocratique de notre république, repoussant les extrêmesde droite et de gauche, pourtant forts de leurs 165 députés, pourraient-elles considérer lafondation du CNR comme une source d’inspiration pour converger afin d’insuffler unenouvelle vitalité à nos institutions et à notre vie démocratique fatiguée de 2023 ?
 
Alors que nous rendons hommage au patriotisme des héros dont nous rappelons les noms aujourd’hui devant ce monument, pourrions-nous avoir nous aussi suffisamment d’amour de la France pour faire l’effort de dépasser nos différences et surmonter nos divergences ?
 
Ou bien faut-il considérer que le patriotisme est une sympathique référence à ne retrouver que dans les livres d’histoire ? La patrie française recèle pourtant d’une si riche composition, d’agrégats si divers et d’origines parfois si lointaines que sa définition renvoie à des sources dans lesquelles nous pouvons tous nous retrouver, mais à condition de le vouloir bien sûr.
 
Respecter ces multiples références mais sans tomber dans le communautarisme, trop souvent conquérant dans certains de nos quartiers, c’est permettre d’être patriote. Et aimer haut et fort la patrie, c’est une saine antidote au nationalisme, source de tant guerres et dedivisions mortifères.
 
En prenant le temps de revisiter les parcours de Jean Moulin, de Forain- Francois Verdier, de Marcel Langer ou de Missak Manouchian, et de bien d’autres héros de cette sombre période, nous sommes, pas simplement admiratifs, mais, littéralement, frappés, sidérés, par leur courage. Ils avaient choisi demourir plutôt que de parler sous la plus abominable des tortures.
 
Ils ont poussé leur courage à un degré difficilement descriptible, à un niveau hors norme, jusqu’au don de leur vie. Comment l’expliquer ?
 
Leurs principes, leurs croyances, les idéaux qui les animaient et les valeurs qui les forgeaient furent à ce point forts que ces hommes ont affronté la mort de face, que la mortleur a peut-être fait peur, mais pas au point de leur faire céder ne serait-ce qu’une parcelle de leur patrimoine intime et individuel, immatériel et moral.
 
Le don de soi, le sacrifice suprême, n’est pas à la mode aujourd’hui. Rongée par le nihilisme, abîmée par l’idée que tout ce vaut, que la distinction entre le bien et le mal est une vieille lune, notre société a pour ligne l’hyper-individualisme exacerbé, l’amour éperdu de soi-même et pour loi la dictature de l’image en instantané.
 
Comment peut-on se surpasser si on estime sa propre personne placée au dessus de tout ? Quand on reconnaît des principes laïques ou un dieu, ou les deux, au dessus de soi-même, alors là, oui, on peut se dépasser.
 
Bien sûr, on n’en est pas à un tel niveau d’enjeu aujourd’hui. Mais nul ne peut prédire l’avenir. Si les vents mauvais de l’histoire soufflaient trop fort, ce que nul ne souhaite, noscaractères seraient-ils à la hauteur, seraient-ils assez solides pour résister ?
 
La pratique actuelle de déconstruction systématique de tout, le wokisme à l’œuvre, affaiblissent considérablement la personne humaine, en la plongeant dans le doute généralisé et en lui prohibant toute notion de certitude. Et c’est la société toute entière qui en souffre et se retrouve fragilisée.
 
Alors, mes chers concitoyens, en célébrant la libération de notre ville, en saluant le souvenir du Conseil National de la Résistance, en glorifiant Jean Moulin et son « terrible cortège » comme l’a dit André Malraux, soyons fermes, forts et unis !
 
Et soyons résistants !
 
Résister aujourd’hui, c’est combattre la confusion verbeuse et la lâcheté silencieuse.
 
Résister, c’est refuser la banalisation et la résignation.
 
Résister, c’est regarder en face nos défaillances collectives, travailler à fabriquer des convergences entre courants adverses et restaurer la force de notre République.
 
Résister, c’est transmettre aux jeunes générations le feu de l’espérance et l’inexpugnable amour de notre patrimoine, de notre histoire, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
 
Car la « Résistance n’est qu’espérance » disait René Char.
 
Vive Toulouse ! Vive la République ! Et vive la France !
 
*Discours du 19 août 2023 – Seul le prononcé fait foi

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