Discours pour le 80 ème anniversaire de la Libération de Toulouse

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« Jamais Toulouse n’a cru la défaite acquise, jamais Toulouse n’a cru que la France était perdue, jamais Toulouse n’a renoncé, ni à la grandeur du pays, ni à sa victoire, ni à la liberté des hommes, ni à celle des Français, des Françaises. (…)” fin de citation.

Ces mots prononcés ici à Toulouse par le Général de Gaulle, alors Président du Gouvernement Provisoire de la République Française, le 16 septembre 1944, au balcon du Capitole, devant une foule en liesse, ces mots illustrent des valeurs auxquelles sont attachés notre ville et ses habitants.

En effet, Toulouse n’a jamais abandonné.

Moins d’un mois avant la venue du Général de Gaulle, les combats pour la Libération de Toulouse firent rage dans les rues de notre ville.

Le 19 août 1944 ponctuait un combat de longue haleine mené par la Résistance, après que, le 18 août 1944, la veille donc, Serge Ravanel, chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de la région toulousaine, ait donné l’ordre aux maquisards de tous les départements alentours de se diriger vers Toulouse pour en chasser l’Occupant.

Le 19 août au matin, les soldats allemands quittent leurs positions dans la ville en incendiant plusieurs lieux. Les combats insurrectionnels démarrent Faubourg Bonnefoy et place Roquelaine, puis à la Gare Matabiau – site stratégique dont nous avons commémoré la libération ce matin en honorant le rôle décisif des cheminots de la CGT et de la famille communiste – , puis ils s’étendent aux Minimes, aux abords du Pont-Neuf et encore à Saint-Cyprien.

A Saint-Michel, la prison calvaire de nombreux résistants est libérée, un acte que nous avons également célébré il y a une heure.

Ce n’est que le 20 août dans l’après-midi que notre ville toute entière est libérée ayant mobilisé, pour cela, au total quelques 6.000 maquisards.

Nous conservons des images de ces évènements majeurs grâce aux photographes Jean Dieuzaide et Germaine Chaumel.

Nous avons, par exemple, présente à l’esprit celle de cette femme piétinant l’aigle allemand et la croix gammée, abattus et vaincus.

La Libération de notre ville, la victoire toulousaine, a été possible grâce à l’union des forces de la Résistance de toute la région, réalisée de façon difficile en raison de divergences politiques, finalement surmontées.

Aujourd’hui, ce 19 août 2024 marque le 80ème anniversaire de la Libération de Toulouse.

Rassemblés ici, nous nous souvenons des combats acharnés, de tous ceux qui y ont alors participé, et tout spécialement des 35 de nos compatriotes qui y ont perdu la vie. 

Et, dans l’expression de notre reconnaissance, nous n’oublions pas non plus les résistants qui ont fait don de leur vie avant même cette date du 19 août 1944.

Rappelons aussi à notre mémoire les noms de Marcel Langer, de Forain-François Verdier, de Raymond Naves, de Louis Pélissier, de Pierre Bénech, et de tant d’autres, certains dont les noms résonnent encore, mais également tant d’autres héros anonymes.

A travers leurs augustes figures, magnifions leurs valeurs de courage, de patriotisme et de sacrifice de soi.

Puisons dans ces exemples, glorieux et tragiques à la fois, l’inspiration nécessaire pour insuffler une once de ce courage dans nos engagements d’aujourd’hui, alors même que nous ne risquons pas notre vie, mais que surgissent d’autres enjeux, de nature différente, mais tout aussi déterminants pour la France et pour notre avenir.

Même si les temps ne sont pas comparables, nous pouvons déceler certaines similarités entre le contexte des années 1930 et celui d’aujourd’hui.

L’Histoire – qui n’est pas achevée malgré le fol espoir de Francis Fukuyama à la fin du siècle dernier – l’Histoire nous sert de nouveaux drames, sur fond de résurgence de la violence dans nos sociétés. 

Le rebond des actes antisémites, comme un vieux stigmate soudain ravivé, est une des marques de cette régression. Ils ont presque triplés en un an, d’après le décompte annoncé par le ministère de l’Intérieur.

Le choix, cynique et bassement politicien, fait par certaine force politique – au singulier -, d’importer lourdement dans notre débat national le conflit israélo-palestinien agit par ricochet chez des individus ou des groupes qui établissent une corrélation lamentable et infondée entre l’action critiquable du gouvernement israélien et la perception des juifs. 

De fait, cela conduit à cette inquiétante recrudescence de l’antisémitisme.

L’antisémitisme, ici à Toulouse, nous ne l’acceptons pas.

La ville de Jules-Géraud SALIEGE s’honore, au contraire, d’avoir vu naître dans ses murs, dès 1940,  l’Armée juive, organisation de résistance à part entière, sous l’impulsion d’Ariane SCRIABINE et de son mari, David KNOUT-FIXMAN, qui, comme nous le rappellent la regrettée Monique-Lise COHEN et notre ami Maurice LUGASSY, prit toute sa part dans les combats d’alors, jusque dans la libération des 19 et 20 août 1944.

Trop souvent oubliés, qu’il me soit permis, en ce jour, de leur rendre hommage.

Comme dans les années 1930, nous connaissons un contexte politique dans lequel les extrêmes sont davantage écoutés et gagnent toujours plus de suffrages.

Les raisons de l’attirance de nos concitoyens pour ces extrêmes sont multiples.

Ils engrangent les fruits amers de la profonde désillusion, voire de l’exaspération, des Françaises et des Français envers les formations politiques dites classiques, qui gouvernent ou ont gouverné notre pays.

Chaque jour, ces citoyens sont les témoins, et parfois les victimes, tout à la fois, du recul de l’autorité de l’Etat, de l’éloignement des services publics en milieu rural, de l’incapacité de notre pays à juguler l’immigration clandestine, du sentiment d’impunité face à la délinquance grandissante et de la difficulté à appliquer beaucoup de décisions judiciaires ou administratives.

Ces problèmes non réglés s’accumulent et le désespoir ou la déception que cela engendre amène beaucoup de gens pourtant raisonnables, pourtant pas extrémistes du tout, à se tourner vers ceux qui crient le plus fort et proposent de soit-disantes solutions fort simplistes. « Au fond, pourquoi ne pas essayer ? » se disent-ils…

Nous l’avons bien vu en juin et juillet derniers, d’abord lors du scrutin européen, puis à l’occasion des élections législatives.

Alors que l’Assemblée nationale comptait 164 députés extrémistes élus en 2022, il y en a désormais 198. Si le poids de l’extrême gauche a heureusement stagné, du moins en nombre de députés et non, hélas, en influence politique et programmatique, celui de l’extrême droite a augmenté de façon très inquiétante, malgré la médiocrité et l’incompétence de ses représentants.

Ce phénomène, nous ne le constatons pas seulement en France. La montée des forces nationalistes est hélas une réalité partout en Europe.

Face à cela, il nous faut réagir, collectivement, car nous connaissons les conséquences engendrées par un tel contexte. 

L’Histoire nous les rappelle.

Jamais le nationalisme n’a produit du positif, exacerbant les clivages, poussant à l’affrontement, faisant reculer la notion de respect, piétinant les valeurs de la diversité dont nous savons, surtout ici à Toulouse, tout ce qu’elles amènent de richesse humaine.

Une cérémonie comme celle que nous vivons ensemble en ce moment nous fait comprendre la différence fondamentale entre le patriotisme, que nous devons encourager, à l’envers d’une tendance au dénigrement de la France, et le nationalisme, que nous devons combattre inlassablement et sans compromis.

Et, justement, le travail de mémoire, auquel cette cérémonie annuelle participe, est le rempart contre l’oubli, l’obscurantisme et la négation. Et aussi contre les petits accommodements électoraux.

Comme l’a écrit Théophile Gauthier dans son poème La Vie dans la Mort  « l’oubli est une seconde mort ».

Après les élections législatives du mois dernier, un nouveau visage de l’Assemblée nationale a émergé. Mais nous demeurons dans l’impasse.

Certes l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite a été écartée, et je salue, avec beaucoup d’entre vous je pense, ce choix sage de nos concitoyens. 

Mais des élections démocratiques ne sauraient simplement servir à « faire barrage » à une force politique. Le rôle premier d’un scrutin est de choisir une direction et une équipe pour diriger le pays. 

Or, la grande division qui frappe notre peuple en ce moment a abouti à l’absence d’une majorité claire.

Sauf à se résoudre au blocage du pays et à l’impuissance de l’Etat – ce qui ne ferait que revigorer la force extrême dont l’arrivée au pouvoir a été écartée cette fois-ci – le chef de l’Etat et les formations responsables de la droite, du centre et de la gauche doivent inventer de nouvelles pratiques et sortir de leurs vieux réflexes. 

Tout en établissant un strict cordon sanitaire à l’endroit de toutes les formations extrémistes, d’un côté comme de l’autre.

Ces acteurs de notre politique nationale en seront-ils capables ? Rien ne permet, hélas, de l’entrevoir alors que déjà six semaines se sont écoulées depuis le 7 juillet.

Pourquoi tous ces acteurs de notre vie politique nationale de 2024 ne s’inspireraient-ils pas de leurs prédécesseurs dont nous célébrons aujourd’hui l’action ? La Résistance ne serait-elle pas une référence assez démocratique et assez prestigieuse ?

Se souviendront-ils des membres fondateurs du Conseil National de la Résistance, qui, dès le  27 mai 1943, organisèrent la convergence des partis de l’ex-IIIe République, le Parti républicain radical et radical socialiste, la SFIO, le PCF, les démocrates-chrétiens, et la droite avec l’Alliance démocratique et la Fédération républicaine ? Des formations qui se rassemblèrent, malgré leurs fortes différences politiques, pour libérer la France puis bâtir une nouvelle république.

Tous ces partis d’il y a plus de huit décennies ont des héritiers dans notre parlement d’aujourd’hui. Ces héritiers ont la majorité absolue, tant à l’Assemblée qu’au Sénat. Ces héritiers seront-ils les dignes successeurs de ceux qui ont reconstruit la France à partir de la Résistance puis de la Libération du pays ? Seront-ils à la hauteur de leurs prédécesseurs ou bien seront-ils en dessous ?

Se rassembler pour gouverner ensemble après s’être affronté, c’est ce qui se pratique aussi de manière plus contemporaine, tant dans une majorité de pays démocratiques qui sont nos voisins, qu’au Parlement européen, ou encore dans la plupart de nos intercommunalités, comme nous ici à Toulouse Métropole.

Oui, ici, depuis des années, avec différentes sensibilités et formations, nous travaillons ensemble, dans le respect mutuel, sans débauchage, sans personnalisation à l’excès de la fonction présidentielle de la Métropole.

Et, bien loin d’un consensus mou, nous menons de grands projets pour le quotidien et l’avenir de notre agglomération, au service de TOUS.

Mes chers concitoyens, je ne conçois pas cette cérémonie du 19 août comme un simple rituel du souvenir, où nos discours s’abandonneraient à la facilité de la seule évocation du passé, un passé glorieux auquel la quasi-totalité d’entre nous désormais n’a pas activement contribué.

Se cantonner dans l’hier en fuyant les défis complexes de l’aujourd’hui n’est pas dans mes habitudes lorsqu’il s’agit de commémorer la Libération de Toulouse.

Car, très sincèrement, j’ai toujours pensé que les hauts faits de notre Histoire, et particulièrement celui-ci, devaient être regardés comme des sources inspirantes pour notre présent.

Ne recommençons donc pas aujourd’hui les erreurs d’hier. Dans son livre « Pilote de guerre », c’était en 1942, Antoine de Saint Exupéry, dont nous honorons le 80e anniversaire de la disparition ces temps-ci, écrivait : « La vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier ».

Il disait aussi, cette fois-ci dans « Vol de nuit », en 1931, « Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent ».

Aujourd’hui comme hier, dans notre pays, les forces et les ressources existent, nous le savons. Elles doivent s’unir et les solutions arriveront, à condition bien sûr de faire prévaloir la bonne volonté et de sortir des sentiers politiques battus, comme le firent les femmes et les hommes de l’ombre qui s’unirent pour que triomphe la lumière.

Ils surent bâtir une IVe République qui, essentiellement grâce à ce qui fut appelé « la Troisième force », malgré ses incontestables défauts, sût reconstruire le pays, reconstituer une économie dynamique, rétablir le plein emploi, moderniser la France, tout en améliorant considérablement la vie quotidienne des Français. Des progrès qui marginalisèrent les extrêmes et annihilèrent le nationalisme.

A ceux qui doutent et restent prisonniers du pessimisme ambiant, je propose une phrase d’une grande dame de la Résistance, déportée, que nous avons honorée il y a peu en donnant son nom à un rond-point dans un quartier de notre ville, une grande dame qui, par son mariage, était entrée dans une Maison puisant ses racines dans la plus glorieuse histoire de Toulouse, je parle de Béatrix de Gontaut-Biron, comtesse Raymond de Toulouse-Lautrec.

Dans son livre « J’ai eu 20 ans à Ravensbruck », elle affirme : « Même le plus noir nuage a sa frange d’or », nous invitant au sursaut collectif et individuel. Et à ne jamais abdiquer l’espoir.

Vive Toulouse, Vive la République et Vive la France.

*Discours du 19 août 2024 – Seul le prononcé fait foi

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