ZAN, normes : derrière le coup de gueule, des institutions en panne de démocratie
Laurent Wauquiez a suscité polémiques et ricanements avec ses propos sur le zéro artificialisation nette. Cependant, si on ne s’arrête pas à la posture politicienne, on doit reconnaître que Laurent Wauquiez tient un discours cohérent sur le sujet de l’inflation des réglementations et des contrôles. Il a ainsi dénoncé le rôle excessif des autorités environnementales et des autorités indépendantes, qui prennent un malin plaisir à censurer les activités des élus, sans rendre de compte à personne.
Je rejoins cette inquiétude qui est celle de nombreux élus, de gauche comme de droite. Les experts évaluateurs des autorités environnementales et autres autorités indépendantes ne sont pas élus, mais n’en sont pas moins animés par des idéaux politiques et même des stratégies politiques. L’Etat s’est fait grignoter de l’intérieur par les experts, qui viennent eux-mêmes renforcer la main-mise du juge administratif, tout aussi affranchi qu’eux du suffrage populaire. Car avec l’aide de l’avis de ces experts, le juge émet des appréciations de plus en plus détaillées et intrusives sur le fond de nos politiques publiques. Les juridictions administratives décident si nos projets sont bons ou mauvais : en somme, ils prennent le rôle politique de détermination du bien commun, que notre démocratie avait souhaité attribuer aux élus.
Si cette dérive a pu avoir lieu, c’est aussi parce que les lois et réglementations, qu’elles soient nationales ou européennes, sont devenues d’une extraordinaire précision. A vouloir tout prévoir et codifier, nos législateurs sont entrés dans une dynamique de confiscation du pouvoir exécutif du gouvernement et des collectivités territoriales. On voit bien là les dérives produites pas le non-cumul des mandats : éloignés des territoires, certains députés voient les élus locaux comme de simples exécutants, alors que nous bénéficions nous aussi de l’onction du suffrage universel. De nombreux sénateurs et députés s’attachent à remettre du bon sens et de la simplicité dans cet emballement infernal, mais ce n’est pas suffisant.
En étant sans cesse plus précis et pointilleux, juges et autorités indépendantes scient pourtant la branche sur laquelle ils sont assis. S’il n’existe plus de liberté d’appréciation et de marge de manœuvre, en quoi demain juges, experts et élus seront-ils plus pertinents que les robots ? Dans le cas du zéro artificialisation nette, c’est déjà une intelligence artificielle qui décide si une parcelle est ou non un espace naturel, produisant des résultats parfois ahurissants aux yeux des élus de terrain…
Si cette spirale toxique s’accélère, c’est donc bien la démocratie qui est en danger : nos institutions ressembleront plus à des engrenages automatisés, qu’à des lieux de délibération collective où l’on s’entend sur notre vision du bien commun.
Dans la période de réforme institutionnelle qui s’ouvre, chacun doit, de bonne foi, contribuer à trouver des remèdes. Annoncer, comme Laurent Wauquiez l’a fait, une « sortie » de l’application d’une loi, n’a aucun sens : la région, aussi peu influente soit-elle sur le ZAN, aura tôt fait de subir la correction du tribunal administratif. C’est bien la loi elle-même qu’il faut changer.
Peu le savent, mais notre constitution prévoit que la loi ne peut pas tout. Il existe le domaine de la loi, mais aussi celui du règlement. Chaque expression de la souveraineté républicaine se trouve ainsi délimitée.
Dans ce cadre, je propose que soit envisagée la mise en place d’un troisième domaine dans la constitution, celui des territoires. Son objectif serait le suivant : empêcher que la loi et le règlement (décrets, ordonnances) se perdent en une précision telle, qu’ils rendent le travail des élus locaux marginal, si ce n’est impossible. Ce principe permettrait de faire des délibérations des collectivités territoriales les pendants des décrets d’application : la déclinaison locale de lois qui, avec sagesse, se borneraient à définir les principes plutôt qu’à décider les moyens.
Ce rééquilibrage permettrait de reconnaître que l’autonomie des collectivités locales représente une expression pleine et réelle de la souveraineté républicaine, qui ne peut être en permanence grignotée et relativisée. Cela procurerait plus de sens à la démocratie locale et aux controverses qui s’y déroulent : en somme, ce nouvel espace de souveraineté populaire redonnerait de l’oxygène à une démocratie qui en a bien besoin.
Limiter les domaines de la loi et du règlement, ce n’est pas condamner le législateur et le juge à l’impuissance : c’est au contraire leur rappeler leur juste place, afin que jamais ils ne puissent se la faire ravir par les algorithmes.
Si nous persistons dans la voie d’une démocratie sans cesse plus codifiée et tâtillonne sous l’impulsion des experts, l’intelligence artificielle aura tôt fait de remplacer nos magistrats et nos députés. Disons-le une bonne fois pour toute : notre démocratie naît de la délibération libre de l’intérêt commun par le peuple, et pas des « vérités » scientifiques d’un jour. Actons-le une bonne fois pour toute, en donnant un nouveau souffle ascendant à notre Constitution, du local à la République.
Tribune parue dans le Journal du Dimanche le 10 octobre 2023